Hiroshima après la bombe
Contexte historique
Montrer Hiroshima
L’assemblage de Little Boy, son installation dans la soute du B-29 Enola Gay, le décollage de l’appareil, le raid aérien, le largage, l’explosion et ses conséquences : les images du bombardement d’Hiroshima, le 6 août 1945, sont nombreuses.
Pour impressionner définitivement les Japonais mais également signifier qu’elles ont « gagné la course à la Bombe » (contre les Nazis et les Russes), les autorités américaines ont en effet finalement décidé de « montrer Hiroshima » et, mieux, de médiatiser leur opération à des fins de propagande. Dès le 7 août et plus encore dans les jours et les semaines suivantes, les photographies, les films et les témoignages sur cet épisode font la "une" de toutes les actualités du monde. Comme Vue d'Hiroshima en ruine à proximité de l'épicentre, ces innombrables représentations ont d’abord un but militaire, stratégique et politique : démontrer la supériorité et la désormais toute-puissance américaines en rendant compte des effets concrets de l’arme atomique, utilisée pour la première fois sur une ville.
Prise six ans après cet événement, Deux garçons dans un champ de ruines est l’œuvre du photojournaliste Bernd Lohse. Premier reporter allemand à visiter le Japon après la guerre, il réalise une série de clichés pour le magazine photo (Foto-Spiegel puis Foto-Magazin) en 1951. Dans une toute autre perspective, documentaire et militante, ce photo reportage réalisé au plus près des habitants entend renseigner le public sur leur vie au jour le jour.
Analyse des images
Apocalypse now
Photographie anonyme, Vue d'Hiroshima a vraisemblablement été prise à bord d’un avion de reconnaissance américain quelques jours après le bombardement du 6 août. L’altitude (relativement basse) de l’appareil permet certes une vue d’ensemble de la zone à proximité de l’épicentre, l’hôpital Shima, mais elle révèle également de saisissants détails. Alors que les constructions traditionnelles en bois ont toutes été complètement détruites par l’explosion, certains bâtiments plus modernes en béton armé du centre de la ville (quatre ou cinq ici, au second plan) sont restés debout. Si l’on devine l’ancienne disposition urbaine en carrés grâce aux routes, le panorama est celui d’une étendue rase, soufflée et dévastée : même les ruines semblent s’être volatilisées, il ne reste presque rien. Près du fleuve Ota au premier plan, des arbres calcinés, noirs et dénudés se dressent encore, renforçant encore l’impression d’apocalypse qui domine tout le cliché.
Deux garçons dans un champ de ruines se place à hauteur d’homme, au sol, non loin du centre de l’explosion ainsi que l’indique un panneau au premier plan à droite. Au milieu des ruines, derrière une incertaine barrière de barbelés, deux enfants sont occupés à ramasser des briques, vestiges d’anciennes habitations. Malgré un immeuble préservé (second plan au centre) et quelques maisonnettes de bois vraisemblablement reconstruites depuis 1945 (à droite, au second plan), les stigmates du bombardement sont encore très présents, tel ce pan de mur isolé et fissuré (à gauche, premier plan).
Interprétation
Hiroshima, 1945-1951
Vue d'Hiroshima en ruine donne à voir la puissance destructrice de la bombe atomique, censée pousser les Japonais à capituler définitivement. Selon les estimations, incertaines, la ville fut anéantie à plus de 65%. Sur une population de 310 000 habitants en 1945, plus de 130 000 furent tuées, que ce soit de manière directe (explosion, incendies) ou indirecte (irradiation) dans les années qui suivirent.
Bien que prise en 1951, Deux garçons dans un champ de ruines ne permet pas de mesurer objectivement l’avancée de la reconstruction après six années. Il est en effet impossible de comparer la vue aérienne, assez lointaine, de la première image et l’immersion dans le cœur de la ville proposée par la seconde. Ainsi, l’opposition entre un paysage ravagé qui semble privé de toute présence humaine et une scène montrant que la vie se poursuit malgré tout ou renaît au milieu des ruines ne semblerait pas liée à la différence entre les deux dates, mais plutôt à une différence d’approche.
Seules les maisons de bois et surtout le panneau montrant d’une flèche « le centre de l’explosion juste en face de ce temple » (écrit en anglais) sur la droite suggèrent que le temps a passé depuis le 6 août 1945. Pour modeste et informel qu’il soit, cet élément informatif destiné aux visiteurs extérieurs comme aux habitants montre une ville qui témoigne de son traumatisme et, peut-être, se réapproprie déjà celui-ci dans une démarche mémorielle. La présence des deux garçons indifférents à cette notification comme au photographe n’en est que plus forte : plongés dans leur quotidienneté, ils ne sont pas de simples spectateurs de l’histoire tragique du lieu mais des acteurs qui le pratiquent et le réinventent comme ils peuvent.